Un récit plein de péripétities

 
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Le troisième jour, de retour d’expédition, je crois James saisi d’une attaque à l'entrée du village. Il se fige, bras tendu et m’empêche de faire un pas.

« Le type là-bas, dans le virage, tu le connais ? »

Entre ses yeux plissés, il fait percer un regard de chasseur vers un Indien d’une vingtaine d’années, grand, dégingandé, la chemise bien repassée, portant de biais une moustache en balais brosse et reconnaissable par un fort strabisme qui lui donne l’air enjoué. Celui-ci, debout, immobile, nous fixe sans crainte en bord de route.

« Il était déjà là à Manimahesh, » précise James, « ce qui veut dire qu’il nous suit depuis au moins une semaine, qu’il a pris le même car dans le passage du Sach, et qu’il s’est planqué à l’arrière. » J’avoue ne pas y avoir prêté la moindre attention. Incrédule, je crois à une plaisanterie dont je joue le jeu. « À moins qu’il ait suivi le même itinéraire, » fais-je remarquer. « Le Sach ET Manimahesh ? Na. Il n’y a pas de lien entre les deux. C’est Mon itinéraire ! » annonce James. Je prends les devants : « Le mieux c’est d’aller demander. » Je vais vers l’inconnu, sans affect, civil, avec ce côté trop parisien qui fait beaucoup rire mon ami au milieu de nulle part.


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« Excusez-moi, Monsieur, » dis-je en tendant une main que l’homme regarde suspicieux sans la serrer, « Je me présente : Erwan, euh... C’est Air force... India, avec One dedans, et sans... vous comprenez, non ? Bon, tant pis. Vous n’étiez pas à Manimahesh par hasard ? »
Le type avec sa denture de piano dodeline de la tête en souriant, ce qui ne veut pas dire non, ce qui ne veut pas dire oui non plus, ce qui veut dire... qu’il ne parle pas anglais ! Je grimace mon désarroi en retour, tourne les talons et le laisse derrière nous.

« Ah ! Ah ! Ah ! » fait entendre James, à gorge déployée, le soir même quand il voit l’individu me coller comme mon ombre dans le bar local. Nous sommes entrés prendre un verre. L’homme ne me lâche pas d’une semelle. Ce qui fait surtout rire James, c’est que lui ne se serait pas embarrassé de la situation. Il aurait soldé l’échange avec Monsieur Collant d’un « fais pas chier » qui aurait eu valeur d’explication. Empêtré dans mes politesses, j’ai tiré le gros lot : celui dont personne ne veut, avec qui aucun lien ne peut se nouer et j’en suis presque à m’excuser.

« C’est toi qui l’as abordé ! » enchérit James pour me mettre face à mes responsabilités. Le jeune homme a l’air si heureux de l’attention que je lui porte qu’il tente de me prendre la main. Les Indiens le font, ici, parfois, se prendre la main, entre inconnus. C’est un gage d’amitié, ou plus. Je résiste, mais comme James accorde trop d’importance au geste, je cède pour dire merde aux convenances et à mon ami. Désinvolte, je le laisse me coller. « Vas-y. Je t’en prie, j’ai bien dansé des slows avec des garçons au Tango ». Mais il devient plus tactile. Il me passe la main sur la taille, rapidement sous le tee-shirt, pince mes poignets d’amour. « Wow ! » Je réagis. Il recommence, je m’énerve. « Arrête ! » James n’en peut plus de rire. Il va se coucher puisque je suis « en main ». « C’est trop pour une soirée ! » hoquète-t-il avant de s’éclipser. Dans quoi me suis-je encore fourré ?

Il est maintenant minuit. Pour écarter le garçon, je me suis précipité vers la table de billard à la rencontre d’une équipe d’Australiens. Dès que mon coéquipier s’absente me « chercher une bière », j’explique précipitamment pourquoi je vais en profiter pour filer : « Ne m’en voulez pas, les gars ! Le type est un vrai pot de colle. » Mais après cinq minutes de recherche, je demande en panique : « Mon sac ? Vous avez vu mon sac ? » Ni l’un ni l’autre ne l’a vu. Je me précipite au comptoir. « L’Indien ? Il est où ? Il a emporté mon sac. » « Quel Indien ? » demande le serveur indien. Autour de nous, une dizaine d’hommes nous lorgnent, alertés par le remue-ménage. Mon voleur ne reviendra plus jamais. Eh ! Merde.

 
 
Respire face à la banquise

Respire face à la banquise

 
 
 
Erwan Gabory1 Comment