Les premiers retours (commentaires)

 
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Au sol, emballés, ils sont là, tout chauds, reliés à la main, sur du beau papier artisanal. Enfin ! J’ai débarqué de très bonne heure. J’ai vu le quartier s’animer. Les commerçants munis de perches se sont tous mis à suspendre leurs marchandises en extérieur au même horaire. Mon ventre gargouillait. D’autres touristes déambulaient sans chiner pour voir la ville en éveil. D’un pas léger, Gaïa est arrivée plus tard avec dans les bras un paquet et la livraison s’est faite loin des regards.

J’ai ouvert et recompté le tout avant de déguerpir. Je traverse la ville, les vingt livres dans les bras, vingt-et-un exactement. Je jubile. Noyé dans l’abondance, j’ai la même sensation qu’à la publication de mon premier roman : j'ai donné vie à quelque chose qui me dépasse. Souvenez- vous, chers éditeurs, de votre premier livre. C’est mon tour : je suis papa. Ils sont piteusement massicotés, la couverture est toujours molle, le titre de traviole, ce n'est pas grave. Le vertige que c'est de s’être fait plaisir, de s’être rendu heureux ! Et comment être objectif quand le rêve guide l'impulsion ?

« C’est “trop” pour l’instant, » s’excuse-t-elle les yeux humides. « Trop d’émotions »
— Autour de Respire

Contrôle qualité obligatoire : les exemplaires sont ouverts pour vérifier chaque page. Dans ma chambre, je m’installe à les regarder, les palper. Je les place les uns sur les autres, en pile, en colonne, en cercle. Ce sont mes jouets, ils parlent entre eux. C'est surtout un texte dont j’assume la responsabilité sans la soumettre à un éditeur. J'ai créé : pensé, conçu, réalisé, donné forme à un objet, qui plus est, un livre. Désormais j’appréhende, autant que je le désire, de les lâcher dans la nature. À la Pinkhouse de Paknajol, au Nord de Tamel, je suis porté par un emballement sans pareil. Il est beau, ce livre, qu’il est beau ! Sur mon passage tout le monde le veut. C'est mon engouement qui n'a pas de prix.

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Les premières lectrices sont deux jolies Calédoniennes qui discutaillent en terrasse de la maison d’hôte après le petit déjeuner. Elles sont infirmières, elles reviennent du Chitwan, en terre sauvage, où elles ont approché ours et rhinocéros en liberté, accompagnées d’un jeune guide inconscient qui les a sommées de grimper aux arbres quand les animaux chargeaient. Une fois le contact noué, je tente une approche en mode écrivain, ce qui est assez roublard et pas discret, d’abord en parlant d’autres livres. Dans la conversation, l’objet du délit se glisse innocemment en évidence sur la table pour susciter la curiosité. La réaction, sobre, est décevante. Les filles touchent, regardent, ouvrent, referment. Mouais. Elles laissent Respire de côté. L’une est farouche, l’autre décontractée. Elles s’entendent sur l’attitude à adopter. Soudain, une troisième fille se joint à nous et sans préambule elle emballe la discussion : « Oh ! Un livre ! » Elle le trouve beau, elle lit. « C’est toi qu’as écrit ça ? J’en veux un ! » Intriguée par sa réaction, la deuxième lit à son tour et veut le sien sans délai. La troisième, plus sauvage, hésite, tourne trois pages et le repose. Pardon ? Je m’insurge en silence : trois pages et elle renonce ? « C'est “trop” pour l'instant, » s’excuse-t-elle les yeux humides. « Trop d’émotions ». Elle veut le livre pour quand elle sera prête. Elle se donne trois mois.

 
Erwan GaboryCommentaire