Vous y viendrez

 
shutterstock_244451992.0.0.jpg

En décembre 2013 j'ai eu la chance d'être invité pour une lecture de L’envol des baisers à Uzerche en Corrèze. Sur le chemin du retour, bien fauché comme souvent à l'époque, j'ai fait le parti pris de revenir en stop. J'aime bien l'effet de surprise dans les rencontres. La troisième personne qui m'a accueillie à bord était une vieille dame, un peu hippie, avec des cheveux de crin, gris cendrés. Elle a déclaré qu'elle ne prenait jamais personne en stop, mais pourquoi pas, elle voulait bien me rapprocher. 

Nous avons fait connaissance et elle a parlé de son passé de militante ou comment dans les années 60 et 70, elle était très active dans diverses associations, notamment Greenpeace. Depuis, elle avait décidé d’arrêter tout combat pour se consacrer à son propre bonheur. 

« Mais non. Ça ne va pas ! » me suis-je enflammé. C’est maintenant qu'on a besoin de vous. Ça tire de partout. »

« J’ai décidé d'être bien, désormais, heureuse. Je ne me fais plus de nœud au ventre et au cerveau. Je garde mon énergie. Je ne veux pas tenir le crachoir de débats perdus. »

« Vous ne vous rendez pas compte, » me suis-je révolté. « Des espèces animales sont en voie de disparition. On détruit l’agriculture. Et puis, il a toujours le racisme, l’égalité homme-femme, la faim dans le monde… » 

« La liste est longue, » m'a-t-elle interrompu sereine. « Et je ne vous conduis pas jusqu'à Paris. » 

Nous sommes restés en silence l’un à côté de l’autre. Elle me semblait tellement détachée de mes problématiques. Je voulais l’atteindre. 

« Pendant la guerre, si chacun s’était contenté d’être… “heureux” »

« Oh ! Je n'ai pas dit soumis, ni passif, ni obéissant, ni individualiste. Mais raccord avec soi-même, avec ses valeurs, combattant à sa propre échelle. Centré. Sans nourrir la main qui nous maltraite. »

J'étais un peu désespéré. Parce qu’elle avait été une femme d’action, j'aurais tant aimé qu'elle m'apprenne à faire bouger les lignes. 

« Oh ! C'est très simple et je vous l’ai dit : soyez heureux. Lucide. Conscient. Bien informé, comme il faut. Agissez comme bon vous semble. Soyez heureux surtout. C’est la plus grande des libertés. »

Je comprenais une partie de ce qu’elle voulait dire. Il était facile d’imaginer que son art de vivre allait dans le sens de ses convictions, ce qui l’épanouissait. Elle semblait détachée de toute peur. Elle rayonnait. En aucun cas, elle ne niait la souffrance et le malheur. Ce qu’elle avait choisi était une direction. Son bonheur en dépit de tout était une invitation. Quand j’ai senti le point d’arrivée, j’ai lâché :

« Si je ne pense qu'à moi, qui va se battre pour la cause ? »

« La personne qui prendra la place que vous laisserez vacante au combat, avant de décider elle-même d’être heureuse. »

« Mais si tout le monde faisait comme vous... » me suis-je insurgé. 

Elle a pouffé. 

« Eh bien ! Tout le monde serait heureux. »

Lorqu’elle m'a déposé, satisfaite d'avoir planté en moi une idée comme une graine, elle a déclaré :

« Vous pensez qu'il serait bon de me rallier à vous, je le vois. Un jour peut-être, c’est vous qui ferez un pas vers nous. »

Avant de refermer la porte, elle a conclu :

« Vous y viendrez. »

Prenez soin de vous et de vos proches.